Comme tu me veux de Luigi Pirandello

Cette pièce, c’est l’histoire incroyablement hypnotisante d’une inconnue. Quand nous la rencontrons, elle rentre d’une soirée, éméchée, entourée d’hommes dont elle-même ne sait rien, chez un homme dont nous apprendrons vite qu’il ne sait pas grand-chose d’elle non plus. Qu’a-t-elle d’extraordinaire, cette femme ? Une force tentatrice, ensorcelante qui fait tomber n’importe qui sous son charme, un écrivain, sa fille venue le convaincre de ne pas divorcer de sa mère, un potentiel mari et toute une famille… La seule qui ne croit pas en ce pouvoir, c’est elle-même !

Dotée d’un passé effacé, d’un présent trouble, d’un avenir incertain, l’héroïne est ballotée d’un homme à l’autre, d’une histoire à l’autre. Sait-elle qui elle est ? Impossible à dire, jusqu’à la fin ! Depuis quelques mois, elle est la maîtresse d’un écrivain, elle se fait appeler Elma et vit dans la débauche ; ce soir-là, on l’appelle Lucia, on lui parle de son mari, de la guerre… Et si elle rit d’abord, elle envisage de reconstruire cette histoire…

« Mais console-toi : personne ne ment vraiment tout à fait. On cherche tous à donner le change, aux autres et à nous-mêmes ! Il y a quatre ans, mon chéri, j’ai pu perdre « quelqu’un » sans qu’il soit mon mari ; il peut donc y avoir du vrai là-dedans – comme dans quasi toutes les histoires qu’on raconte. »

Parfois, elle refuse d’adhérer à cette identité qui tombe du ciel, parfois elle reconnaît des personnes, elle assène des vérités troublantes. Jusqu’à la fin, nous sommes malmenés, à l’instar des personnages, d’elle-même sûrement aussi.

Si le premier acte nous présente les personnages et l’intrigue dans un huis clos qui tourne au (presque) tragique, le second s’ouvre avec d’autres êtres, un autre passé, d’autres énigmes, l’annonce d’autres personnages qui viendront confirmer les certitudes, dissiper les derniers soupçons. Dans cette deuxième partie, l’héroïne semble plus fragile, inquiète à l’idée de retrouver un pan de son passé. Et puis l’acte I rattrape le II dans un ultime acte III. L’écrivain a retrouvé la vraie Lucia, c’est donc une double confrontation qui s’ouvre ici. Cet acte est d’une grande cruauté morale selon moi : la femme amenée par Salter est une femme traumatisée, en fauteuil roulant, à peine capable d’articuler un mot. L’image et la réalité qu’elle met sous les yeux sont bien trop dures à accepter pour les membres de cette famille. Ultime échappatoire pour l’inconnue qui peut éviter, par ce biais, de rentrer dans le rang, son arrivée au milieu de tous ces gens qui l’attendent pour faire d’elle ce qu’ils veulent, est d’un cynisme qui m’a fendu le cœur. C’est le cri de celle qui s’est faite constamment comme on la voulait et qui oublié ce qu’elle désirait profondément.

Jusqu’au dernier mot, on ne sait pas. On ne comprend pas. On n’accepte pas. Mais elle, elle a refusé.

C’est une pièce qui m’a bouleversée, que j’ai lue d’une traite et que je suis vraiment heureuse et impatiente d’étudier cette année.

« Théâtres de l’amour, théâtres de la mémoire »… Comment l’amour peut-il former ou déformer la mémoire ? L’amour a-t-il une mémoire ? La mémoire peut-elle être amoureuse ? La problématique se renforce et se complique à la lecture de cette deuxième œuvre. Hâte de mieux comprendre, vraiment !

Priscilla

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