Le Monde d’hier de Stefan Zweig

Complètement sous le charme de la plume de Zweig depuis ma découverte de Lettre d’une inconnue, je ne pouvais pas le laisser de côté alors que Bookclub du Prix Bookstagram avait pour thème « La Mitteleuropa ».

Ce terme désigne une période historique en même temps qu’une zone géographique, l’Europe centrale, celle où la langue allemande a exercé une forte influence, jusque dans les Balkans, l’héritage de l’empire austro-hongrois, jusqu’à la seconde guerre mondiale. C’est un concept empli de nostalgie, l’image d’une Europe soudée et pacifique, dont Zweig, dans Le Monde d’Hier, se fait le parfait porte-drapeau.

Voici la quatrième de couverture :

Le monde d’hier, c’est la Vienne et l’Europe d’avant 1914, où Stefan Zweig a grandi et connu ses premiers succès d’écrivain, passionnément lu, écrit et voyagé, lié amitié avec Freud et Verhaeren, Rilke et Valéry… Un monde de stabilité où, malgré les tensions nationalistes, la liberté de l’esprit conservait toutes ses prérogatives.
Livre nostalgique ? Assurément. Car l’écrivain exilé qui rédige ces « souvenirs d’un Européen » a vu aussi, et nous raconte, le formidable gâchis de 1914, l’écroulement des trônes, le bouleversement des idées, puis l’écrasement d’une civilisation sous l’irrésistible poussée de l’hitlérisme…
Parsemé d’anecdotes, plein de charme et de couleurs, de drames aussi, ce tableau d’un demi-siècle de l’histoire de l’Europe résume le sens d’une vie, d’un engagement d’écrivain, d’un idéal. C’est aussi un des livres-témoignages les plus bouleversants et les plus essentiels pour nous aider à comprendre le siècle passé.

C’est une totale immersion dans cette Europe du début du XXe siècle que vous vivrez en tournant ces pages de Zweig. On y découvre la légèreté d’une société insouciante, fidèle à ses valeurs, confiante en l’avenir et quand on sait justement vers quel avenir elle se dirige indubitablement, on est frappés, touchés par cette naïveté. L’Autriche est encore un peu celle de Sissi, vieillotte, guindée mais plutôt sympathique dans l’ensemble. La mentalité germanique est certes toujours celle de la rigueur et du travail, mais chacun y trouve sa place, son bonheur et son but. Evidemment, Zweig vit dans un milieu privilégié, il en est conscient et ne cache pas sa chance d’avoir été éduqué comme il le fut et de connaître tellement de si impressionnantes personnes.

Au fil des pages, nous le voyons se lier avec Hofmannstahl, Verhaeren, Romain Rolland (dont je ne connais pas du tout les œuvres et que j’ai très envie de découvrir maintenant !), Freud, Dali… Stefan Zweig n’est pas seulement le fruit d’une génération, il est au cœur de l’élite intellectuelle qui essaiera de briller malgré les sombres égarements du siècle. D’ailleurs, des conflits qui assombriront le ciel européen, Zweig ne verra que les conséquences : il resta dans les bureaux entre 1914 et 1918 et est en fuite dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Il ne se fait pas le chantre de l’héroïsme, il se fait bien davantage l’aède d’un idéal qui s’échappe.

Je crois que c’est ce qui m’a le plus touchée dans ce récit historico-autobiographique. Alors que politiquement, le monde s’écroule et est en train d’entamer sa descente la plus tragique, la génération d’auteurs de génie que Zweig fréquente est en pleine élaboration d’une conscience intellectuelle européenne. Ils organisent des congrès, parlent de nombreuses langues et rêvent à la création d’une langue qui dépasserait les antagonismes de toutes les autres. Ils rêvent humanité et paix. Je crois que j’ai compris, à travers la plume sensible, à la fois idéaliste et concrète, de cet auteur incroyable ce qu’était vraiment le pacifisme. Et c’était beau !…

Quel couperet que ces derniers chapitres et cette menace innommable ! Quelle horreur de voir les gens changer parce qu’ils ont peur. Quelle tristesse de voir le désir de paix se cacher derrière la nécessité de la vengeance ! Quelle leçon pour nous, Européens, citoyens du monde actuel, de voir que chaque acte, chaque décision influe sur le cours du destin de l’humanité. Que l’inaction n’est pas sans conséquence. Que la soumission à un homme n’est qu’un affreux point de départ. Le passé nous parle et avec Zweig, nous donne des clés pour l’avenir, car en 1910 ou en 2024, nous restons des hommes, juste des hommes…

Priscilla

6 Comments

Laisser un commentaire