Les mille talents d’Euridice Gusmao de Martha Batalha

Martha Batalha excelle à mêler humour et dénonciation de la condition féminine. Dans ce court roman, dont l’autrice nous rappelle régulièrement les liens avec les radionovelas, on est plongé dans une sorte de Desperate Housewives au Brésil dans les années 1960. Les femmes restent à la maison, s’observent, s’écoutent, cancanent. Enfin… Pas toutes, et c’est ce qui fait tout le sel du texte !

Voici la quatrième de couverture :

Eurídice et sa sœur Guida sont nées dans un quartier populaire de Rio de Janeiro dans les années 1920. Quand vient le temps de se marier, Eurídice épouse un garçon rencontré lors d’un bal. Débordante d’énergie, d’ambition et d’idées, elle comprend rapidement que son mari, un employé de banque, ne peut accepter, tout comme sa famille, qu’elle sorte du rang. Guida, elle, est reniée par ses parents après s’être enfuie avec un riche héritier, et doit finalement assumer seule l’éducation de son fils. Mais toutes deux refusent que leur vie ressemble à celle de leur mère. Chacune à sa manière s’arrache à la force du destin.
Un roman optimiste où les femmes, opprimées par les hommes et l’ordre social établi, sont aussi des rebelles incontrôlables et terriblement attachantes.

Euridice a épousé Anténor et mène une vie calme dans laquelle elle satisfait tout le monde : elle est une bonne mère, une bonne épouse, une excellente maîtresse de maison. Seulement voilà, elle sent qu’elle n’est pas épanouie, elle s’ennuie. Alors elle essaie diverses occupations. Elle excelle dans toutes, parce qu’elle a soif d’apprendre et parce qu’elle est passionnée. Mais elle arrête tout, tout le temps, parce que ça ne correspond pas à ce qu’on attend d’elle. Reviennent alors la frustration et l’ennui.

Cette situation est également absurde, ou presque. Euridice devient un génie de la cuisine, rôle traditionnellement dévolu aux femmes au foyer s’il en est. Mais non, c’est trop, et sa famille regrette les haricots. Elle se met à coudre, là encore rien de révoltant. Mais si ! Trop de monde, trop de bruit, trop de tractations financières. Finalement Euridice s’épanouira dans les études, et là…vous verrez bien !

Cette histoire crée une sorte de toile de fond, révoltante mais répétitive. Sur cette toile se tissent d’autres histoires : celles de son mari, de sa voisine Zélia, de sa sœur Guida. Guida, c’est le symbole de la révoltée, celle qui a fugué par amour en manquant de respect à ses parents. Mais Guida, c’est aussi une réalité, bien plus dure finalement que celle de sa sœur.

Je ne peux entreprendre de raconter toutes les histoires narrées au fil de la plume de l’autrice. Ce que j’en retiens, c’est ce mélange étrange de légèreté, d’humour et de critique acerbe, d’ironie. Beaucoup de violences nimbent le quotidien de ces femmes (viol, mensonge, prostitution, pauvreté), mais à l’instar de la couverture de mon édition (bien plus jolie que la nouvelle, vous en conviendrez), le récit reste frais et se lit d’une traite. On en ressort avec un sentiment étrange : les héroïnes ne sont pas les plus malheureuses mais apparaissent comme la meilleure conclusion d’un type de destin bien plus dramatique. Cela ressort également avec le nouveau titre : cette idée de « vie invisible » fait entendre la nécessité pour les femmes de ne pas être elles-mêmes, de correspondre aux attentes, aux canons et de se réfugier, si elles le peuvent, dans l’irréel, le fantasme.

Un roman qui se dévore comme une radionovela donc, ou comme un épisode de Desperate Housewives, à la fin duquel on ne peut s’empêcher de se dire quand même « Pauvres femmes… »

Priscilla

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