Les Hauts de Hurlevent. Tout le monde connaît ce titre, aucun doute, c’est un classique. Et pourtant… Je me souviens l’avoir lu juste après l’obtention du CAPES, les premiers mois en tant que prof de lettres. Je me souviens l’avoir lu, mais je ne me souviens de rien d’autre. Peut-être l’avais-je lu pour savoir si je pouvais le faire étudier à mes 4ème, peut-être ai-je mis trop de temps à le finir, je ne sais, mais force est de constater que treize ans plus tard, il ne m’en restait rien. C’est donc presque naïvement que je me suis replongée dans ce roman et que j’ai pris une claque !
Voici la quatrième de couverture :
Écrit sous un pseudonyme masculin, paru en 1847, Hurlevent est le premier et le seul roman d’Emily Brontë, qui mourra un an plus tard. Ce livre aux péripéties violentes, qui fit scandale et fascina des générations d’écrivains – de Virginia Woolf à Patti Smith, en passant par Georges Bataille -, raconte l’histoire d’un amour maudit, dont l’échec pèse sur toute une famille et sur deux générations, jusqu’à l’apaisement final.
Ce roman m’a fait l’effet d’un charme, opérant sur moi dès les premières pages, mais ce charme a tout d’un piège. On sent que cette attirance est malsaine, qu’on ne sera jamais à l’aise avec ces personnages, dans cette maison, mais trop tard, on ne peut plus les quitter.
Le jeu des narrations emboitées permet à l’autrice d’empêcher toute empathie avec ces êtres que l’on découvre amers, vulgaires et détestables. Comme le narrateur premier Lockwood, on aimerait comprendre pourquoi ces quatre sombres individus restent ensemble, ne cessant jamais de se provoquer, de s’insulter ; on voudrait comprendre aussi pourquoi cette maison est effrayante et d’emblée, on glisse vers le fantastique. Une tendance que le roman conserve jusqu’au bout, celle du roman gothique. Heureusement, la prolixe Mrs Dean se fait rapidement un plaisir (presque douteux) de narrer à cet inconnu tous les déboires de ces familles. Au milieu de landes désertées, deux habitations se fréquentent sans vraiment se voir. Le vent, la neige, la pluie, le froid sont les climats les plus courants. Le village le plus proche n’est que mentionné : inutile de fréquenter la civilisation, le docteur se déplace, les pierres tombales se trouvent près d’églises désaffectées et peuvent ainsi être honorées ou profanées à l’abri des regards. Désert sans chaleur, le plateau devient une sorte de No Man’s Land où tout peut être fait.
Ici la tragédie n’a rien de divin et l’hybris n’est qu’un orgueil mal placé : celui d’enfants bourgeois qui n’aiment pas se voir lésés par un nouvel arrivant, celui de l’aîné qui ne supporte pas de voir le cadet prendre de la place, celui de l’amoureux qui ne supporte pas d’être supplanté, celui du mari qui refuse de partager son épouse… Bref, tout est ici très humain. Un seul élément est irrationnel, indestructible et surpuissant : l’amour entre Heathcliff et Catherine. Les pages les plus belles sont pour moi celles où ils se livrent, jamais l’un à l’autre évidemment, et où le lecteur découvre la force de leur lien. Mais cela ne suffit pas à Heathcliff, il veut plus, il veut tout et, tel un Monte-Cristo bien moins légitime, il élabore un plan démoniaque pour se venger de ceux qui l’ont blessé. Il devient alors un être abject et sanguinaire qu’on ne peut même plus plaindre.
Emily Brontë, jeune fille sage et recluse chez elle, offre aux lecteurs un tableau bien sombre de la nature humaine. Car Heathcliff n’est pas le seul être vil et méprisable. Le génie de l’autrice repose, entre autres, sur le paradoxe d’un roman addictif peuplé de personnages tous détestables. Aucun n’obtient gain de cause selon moi. L’union finale ne me semble pas si heureuse et bénie que cela et les personnages graciés ne méritent pas vraiment de l’être selon moi. Tout se passe comme si l’air vicié de Hurlevent contaminait tous les individus qui y séjournaient : ainsi les narrateurs eux-mêmes ne sont pas exempts de vices. Hélène semble se délecter de la peinture du malheur des autres, que parfois elle provoque même et Lockwood est aussi gêné que Heathcliff face à la relation des deux jeunes gens. On n’a plus qu’à espérer que le vent soufflant sur cette lande ne nous a pas nous-mêmes rendus malsains. Parce qu’une chose est sûre, j’ai été gênée, dérangée, choquée par ce texte, mais j’ai surtout, et constamment, été subjuguée.
Connaissez-vous ce roman ? Vous a-t-il fait le même effet ?
Priscilla
Mon classique préféré que je brûle de relire en VO la prochaine fois. Tu en parles merveilleusement bien notamment pour l’ambiance et les personnages détestable mais qu’on a envie de suivre et comprendre. Je comprends ta claque !
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