Me voici – enfin ! – de retour pour vous parler d’une pièce de théâtre classique dont je n’avais aucun souvenir… Peut-être même ne l’avais-je pas encore lue ! En tout cas, c’est chose faite, et je ne regrette pas !
Racine… Je ne le détacherai jamais complètement de Phèdre qui est, à mon goût, une pièce parfaite. Je vous en avais déjà parlé ici. Bérénice est aussi une œuvre magistrale, dans laquelle le destin des personnages est bouleversant et injuste.
Voici la quatrième de couverture :
Un empereur romain ne peut épouser une reine étrangère : cette loi implacable plonge Titus dans un profond désespoir. Fou amoureux de Bérénice, reine de Palestine, il doit choisir entre la gloire et les élans de son cœur, et se résout à quitter celle qu’il aime. Son ambition est grande, sa décision irrémédiable… mais, à l’idée de l’annoncer à Bérénice, l’empereur chancelle…
Le qualificatif « tragique » pose question dans cette pièce à l’issue de laquelle personne ne meurt bien que tous les personnages évoquent l’éventualité de leur fin prochaine. Pourtant, le ton, les enjeux et les caractères sont bien de nature tragique. Racine lui-même, dans sa préface, explique :
« Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. »
Dans cette pièce écrite plus de trente ans après Le Cid de Corneille, on retrouve le dilemme de l’amour et du devoir, inconciliables. La peinture des sentiments existant entre Bérénice et Titus est touchante, on y sent une passion toujours forte malgré l’écoulement du temps. Bérénice dit plusieurs fois qu’elle n’a cure du pouvoir de son amant et ne l’aime que pour lui-même. Titus semble prêt à tout pour respecter la foi jurée à sa belle.
Pourtant, à la mort de Vespasien, Titus doit surtout respecter les lois romaines, celles qui rejettent qui ressemble de près ou de loin à la monarchie, honnie. On pourrait reprocher au personnage masculin de ne pas s’imposer, de ne pas vraiment se battre. Pourtant, ce à quoi j’ai été très sensible à la lecture de cette pièce, c’est que Titus ne s’appartient plus. Devenu empereur, il ne peut plus être homme : « Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner » dit-il à la scène 5 de l’acte IV.
Le génie de Racine repose (entre autres) sur le fait que cette donnée nous est connue d’emblée, ou presque. Ce n’est pas vraiment l’enjeu. J’ai été touchée par la dichotomie de l’empereur qui, malgré tout ce que souhaite Rome, reste un homme. La scène clé de la pièce n’est pas du tout le refus des Romains d’avoir Bérénice pour reine, d’ailleurs, le lecteur n’assiste même pas à cette discussion. La tension dramatique est centrée uniquement sur l’aveu : il faut quitter la femme qu’il aime. Et c’est alors l’homme qui chancelle derrière l’Empereur, comme le souligne son amante : « Vous êtes Empereur, Seigneur, et vous pleurez » (IV, 5).
Alors que Bérénice doit renoncer à l’amour, Titus, lui, doit renoncer à être un homme…
Et entre eux, il y a Antiochus. Il aime Bérénice, il l’a suivie, il a aidé Titus et son amante et il est à bout de forces, prêt à les quitter à la veille de ce qu’il croit être un mariage. Déchiré entre son besoin d’elle et la nécessité de s’en éloigner, Antiochus sera aussi constamment tiraillé entre son départ imminent et la nécessité de rester, le fol espoir de voir Bérénice revenir à lui et la certitude de n’être rien pour elle.
Tragédie historique, Bérénice m’a touchée surtout en tant que tragédie de l’amour, des amours. Les vers, comme à chaque fois chez Racine, sont sublimes et restent en mémoire comme une mélodie lancinante, douloureuse, mais enchanteresse. Un classique que j’ai adoré (re)découvrir ! Vous connaissez ?
Priscilla