Les Classiques de Priscilla – La Prisonnière de Marcel Proust

On ne lâche rien et on poursuit notre découverte de Marcel Proust avec la lecture de ce cinquième tome de La Recherche du Temps Perdu, La Prisonnière.

Alors que le narrateur venait d’annoncer à sa mère qu’il comptait quitter Albertine, celle-ci déjoue ses plans et fait renaître les soupçons de celui qui ne veut pas s’avouer son amour ; et c’est ensemble, au plus grand désarroi de sa mère et de Françoise, la domestique, qu’ils rentrent à Paris. Ayant toujours fait croire qu’ils étaient cousins, les deux personnages vivent une existence étrange, faite de sorties en public, de soirées en tête à tête, de disputes et de filatures.

Ce tome est celui de la jalousie maladive du narrateur et j’ai craint que ça ne devienne lassant. Mais comme à chaque fois, le génie de Marcel Proust opère et fait de ces scènes répétitives un laboratoire d’analyse de l’amour et de l’amour-propre. Le narrateur passe son temps à se dire qu’il serait mieux sans elle, mais il ne cesse de la faire surveiller et de désirer sa présence, d’où le titre de ce tome. Albertine est une « jeune fille en fleurs » et elle aimerait le rester, aussi se montre-t-elle aussi docile que manipulatrice. J’ai aimé, dans ce roman, en vouloir à la jeune fille puis me dire que nous étions guidés, dans les méandres de cette histoire d’amour, par son amoureux, qui n’est pas toujours plus fiable qu’elle.

Eternellement incertain, le narrateur ne voit pas clair dans son propre cœur et ne peut donc pas lire dans celui d’Albertine. Persuadée qu’elle le trompe avec toutes les femmes dont il sait qu’elles ont ce goût « inversé », il la traque, ne cesse de s’inquiéter mais se sent rassuré dès que la confrontation a lieu. La croyant menteuse, il devient fourbe, simule des malaises, des ruptures afin d’étudier sa réaction. De façon très malsaine, Albertine devient sa chose, son objet d’expérience, à l’instar d’une œuvre d’art par laquelle il essaierait de démêler ses émotions.

Ce parallèle se devine dans le retour de la sonate de Vinteuil, cette petite phrase musicale qui faisait renaître chez Swann sa passion pour Odette de Crécy (dans « Un Amour de Swann », Du côté de chez Swann), jouée, dans une mise en scène très subtile, chez les Verdurin, par Morel, lors d’une soirée organisée par le Baron de Charlus. Tout se joue dans un système très élaboré de reflets déformants : si cette petite phrase fait comprendre au narrateur ce que l’art peut apporter aux hommes, elle est aussi l’occasion d’un mélange des classes qui se termine mal pour le vrai aristocrate qu’est M. de Charlus, décevant ses anciens amis, perdant les nouveaux. Car, dans cette Recherche, le narrateur évolue avec son époque. Ce tome est celui dans lequel les bourgeois se hissent à l’égal des aristocrates, où les frontières du sang bleu sont bafouées, signe de la nouvelle ère qui s’annonce. Mme Verdurin, vexée d’avoir été ignorée par les nobles, se venge par l’entremise de Morel, et détruit le Baron. Les Guermantes, eux-mêmes, objets de fascination au début du cycle, sont mis de côté et la duchesse n’est consultée que pour des conseils vestimentaires qui sont utiles à Albertine, elle-même jeune fille de peu de biens, habillée ici comme Oriane.

Personne n’est à sa place : ni Albertine, jeune fille en fleurs, ni Andrée en surveillante officielle, ni Charlus qui invite chez les Verdurin, ni les Verdurin qui reçoivent les altesses, ni les Guermantes qui deviennent des conseillers, ni le narrateur qui n’est toujours rien de concret, ni amoureux, ni écrivain, ni journaliste, ni célibataire. Chacun veut posséder ce qu’il ne peut que fréquenter et la rupture se devine comme une tension lancinante tout au long du texte. Une tension qui lâchera sur un « Mademoiselle Albertine est partie », faisant passer la jeune fille du statut de « prisonnière » à celui de « fugitive ».

Priscilla

1 Comment

Votre commentaire

Choisissez une méthode de connexion pour poster votre commentaire:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s